L'histoire de Johnny Chan

Nous vous proposons de découvrir l'histoire du célèbre champion de poker sino-américain Johnny Chan.

De l'Empire du Milieu au Pays de l'Oncle Sam

C'est en 1957 que Johnny Chan naît à Canton en Chine, au sein d'une famille aux revenus modestes.

Cinq ans plus tard, en 1962, les Chan déménagent à Hong Kong. À l'époque, la ville qui est encore une colonie britannique se trouve en pleine révolution culturelle. Les manifestations y sont régulières et souvent très violentes.

Pour échapper à ce climat socio-politique anxiogène et dangereux, la famille Chan décide de quitter le pays en 1968 pour vivre à Phoenix, aux USA.

La vie aux États-Unis se passe au début difficilement pour le jeune Johnny et ses parents, car aucun d'eux ne parle l'anglais. Johnny apprécie toutefois d'aller au collège, mais son intégration parmi les autres élèves est complexe en raison de la barrière linguistique.

"C'était difficile à vivre, puisque les seuls mots anglais que je connaissais étaient "yes" et "no", ce qui limite les conversations avec les autres enfants", se rappelle Johnny Chan. "J'aimais par contre réellement l'école. Mes notes étaient bonnes et ma matière préférée était les mathématiques."

En 1973, lui et sa famille déménagent encore une fois pour s'installer de façon définitive à Houston, au Texas. Ses parents y ouvrent un restaurant baptisé Hoe Sai Gai ("Grand Tourbillon" en français).

Johnny Chan, qui est âgé de 16 ans, va désormais au lycée. Chaque jour après les cours, il aide ses parents dans la gestion de leur activité de restauration qui compte de plus en plus de clients.

L'adolescent adore jouer aux échecs, ainsi qu'au bowling. Très doué dans ces deux disciplines, il lui arrive même de gagner de l'argent de poche supplémentaire grâce à ses victoires.

La découverte du poker

C'est dans le restaurant familial que Johnny fait un jour la découverte d'un nouveau jeu qui va bouleverser totalement sa vie : le poker.

L'établissement compte de nombreux clients qui travaillent dans l'industrie pétrolière et qui adorent jouer à ce jeu de cartes. Cette passion s'avère tellement contaminante que la famille Chan, leurs employés et quelques-uns de ces habitués prennent l'habitude de se réunir certains soirs après la fermeture du restaurant pour jouer au poker.

Mais l'attrait pour ce jeu de hasard ne se limite pas à celui des joueurs des parties nocturnes du Hoe Sai Gai. La ville de Houston, et par extension l'ensemble des États-Unis, connaissent un énorme engouement pour le poker à cette époque.

Au fil des parties jouées avec ses parents et avec leur entourage, Johnny Chan apprend, se perfectionne et finit par devenir un joueur de haut niveau. Il remporte souvent les parties auxquelles il participe et commence à être réputé localement.

Au milieu des années 70, il prend part à un voyage organisé de deux nuits et trois jours à Las Vegas. Dès son arrivée, il joue au craps, au blackjack, puis se rend au Golden Nugget Casino pour s'installer à une table de poker. Il y mise 200 dollars, ainsi que son collier en or qui vaut 120 dollars. Au bout de quelques jours, il parvient à transformer cette modique somme en un gain de 30 000 dollars !

Le jeune homme vient de faire la découverte du monde du poker professionnel à Las Vegas. Il va falloir peu de temps avant que ce dernier ne le découvre à son tour et le considère comme l'un des plus grands joueurs de sa génération…

L'arrivée à Las Vegas

Johnny Chan finit par intégrer l'université de Houston. Envisageant de poursuivre les affaires familiales, il y suit des études de gestion hôtelière et de restauration.

"J'aimais vraiment le métier de restaurateur", se souvient Chan. "En fait, je l'appréciais tellement qu'après avoir gagné suffisamment d'argent à Vegas, j'ai ouvert mon propre établissement."

Outre ses études, le jeune homme continue à aider ses parents dans leur restaurant, tout en effectuant parfois de courts séjours à Las Vegas pour y jouer à ses jeux de cartes préférés.

En 1978, Chan, qui est âgé de 21 ans, décide finalement de quitter l'université et la ville de Houston pour s'installer à Las Vegas. Son objectif est désormais clair : devenir joueur de poker professionnel.

"Dans les années 70 et 80, la majorité des casinos de la ville appartenaient à des investisseurs privés, voire à des mafieux", commente le joueur. "Je jouais souvent avec un groupe de vieux briscards que j'avais baptisés les "Rocks". Lorsque j'ai commencé à les fréquenter, ils me prenaient pour un petit Asiatique incapable de jouer au poker. Mais au bout de plusieurs parties, ils ont compris leur erreur..."

Les États-Unis comptent à cette époque très peu de joueurs asiatiques. Chan est donc fréquemment sous-estimé par ses adversaires. Ces derniers ont tendance à le suivre lorsqu'il mise en croyant qu'ils vont le battre haut la main, d'où leur surprise lorsque la situation s'inverse !

Un tournant décisif

En 1982, Chan prend certaines résolutions qui vont avoir un impact important sur sa vie et sur sa carrière. Il abandonne ainsi la cigarette (il fumait jusque-là quatre paquets par jour !), fait quotidiennement de l'exercice et s'alimente plus sainement.

À l'époque, les casinos autorisent leurs clients à fumer. Pour masquer l'odeur du tabac, Johnny Chan prend l'habitude de poser une orange près de son tas de jetons lorsqu'il s'assoit à une table de poker. Au fil du temps, ce fruit devient d'ailleurs son porte-bonheur.

Toujours en 1982, il ouvre son propre restaurant et remporte le tournoi "No Limit Hold'em" à 10 000 dollars du championnat "America's Cup of Poker" qui se déroule au casino Vegas World.

Après l'avoir vu éliminer treize des seize derniers joueurs en seulement une demi-heure durant l'événement, le joueur de poker et casinotier Bob Stupak le surnomme "L'Orient Express", un pseudonyme qu'il conserve toujours aujourd'hui.

Quelques mois plus tard, il remporte aussi un tournoi mixte "Hold'em / Stud" qui a lieu au casino Golden Nugget de Las Vegas.

Le jeune homme, dont le style de jeu est considéré comme fougueux, voire agressif, ne gagne cependant pas toutes les parties auxquelles il participe. Il lui arrive même de vendre quelques affaires personnelles ou d'accepter un emploi parallèle, tel que celui de croupier, pour préserver sa bankroll (budget alloué au poker).

"Lorsqu'il est arrivé à Las Vegas, Chan était un garçon très talentueux, mais aussi trop impulsif !", confiera plus tard le célèbre champion de poker Doyle Brunson. "Je lui ai conseillé de ne pas miser de manière excessive et de maîtriser son tempérament colérique. C'est ce qu'il a fait et cela lui a réussi..."

En 1983, Johnny Chan gagne pour la seconde fois l'America's Cup of Poker.

Un an plus tard, il est vainqueur du "Celebrity Poker Classic" et du "1st Annual Poker Week", avant de se positionner à la troisième place du "Grand Prix of Poker". Ces trois événements lui permettent d'empocher respectivement 10 500, 38 750 et 22 000 dollars !

La reconnaissance des pairs

Chan gagne son premier bracelet d'or des World Series of Poker (WSOP) en 1985, à l'issue d'un tournoi au format "Limit Hold'em". L'événement, qui se déroule au Binion's Horseshoe de Las Vegas, compte 400 participants (un record à l'époque). Le joueur âgé de 28 ans empoche au passage 171 000 dollars.

"Cette victoire m'a rendu beaucoup plus confiant", explique Chan. "Après ça, lorsque je m'asseyais à une table occupée par des joueurs de haut niveau, on ne me considérait plus comme un outsider, voire comme un moins que rien. J'étais enfin respecté dans le milieu. Par contre, la pression est également montée d'un cran. Tout le monde voulait désormais me battre pour s'en vanter..."

Lorsqu'il participe aux WSOP de 1987, Johnny Chan mise, comme 152 autres joueurs, 10 000 dollars de buy-in pour tenter de gagner le tournoi principal. Il parvient à atteindre la table finale en "Hold'em No Limit" et remporte le championnat en raflant cette fois la coquette somme de 625 000 dollars. C'est aussi grâce à cette victoire qu'il décroche son second bracelet.

L'année suivante, Chan sort une nouvelle fois vainqueur des WSOP avec un troisième bracelet et 700 000 dollars en poche !

Un joueur d'exception

En 1989, Jerry Buss, le propriétaire de l'équipe de basket-ball professionnel des Lakers de Los Angeles, lui promet de lui offrir une bague du championnat NBA s'il remporte pour la troisième fois consécutive les World Series of Poker. Chan est à deux doigts d'y parvenir, mais il perd malheureusement durant la finale contre Phil Hellmuth Jr.

"En 1987 et en 1988, Phil se positionnait souvent derrière moi durant le championnat et il observait chacun de mes gestes", révèle Chan. "Il a appris, s'est amélioré et a fini par me vaincre en 89. Cette défaite me hante toujours, mais je me dis que j'ai malgré tout réussi à remporter les WSOP deux années de suite, ce qui reste exceptionnel."

Johnny Moss, Stu Ungar, Doyle Brunson et Johnny Chan sont en effet les quatre seuls joueurs de l'histoire du poker à avoir remporté le Main Event de cet événement deux années de suite.

Son quatrième bracelet d'or, Chan le gagne en 1994 en sortant vainqueur de l'épreuve préliminaire du "Seven Card Stud" des WSOP. En plus de cette récompense, il empoche 135 000 dollars en battant le joueur irano-britannique Mansour Matoubi.

En 1997, se tient la 28ème édition des World Series of Poker. Organisé comme d'habitude au casino Horseshoe de Benny Binion, le championnat compte cette année-là 21 événements et des participants venant des quatre coins du globe (France, Angleterre, Écosse, Corée du Sud, Pays de Galles, Suède, Irlande...).

Johnny Chan y remporte l'épreuve du "No Limit Deuce to Seven Draw" en battant Lyle Berman. Cela lui permet non seulement de décrocher un cinquième bracelet, mais aussi 164 250 dollars.

Lors du même événement, le joueur sino-américain termine à la vingtième position en "No Limit Hold'em" et à la neuvième en "Pot-Limit Omaha".

Le Main Event est, quant à lui, remporté par Stu Ungar qui repart avec 1 million de dollars en poche !

De succès en succès

En 1998, Johnny Chan joue son propre rôle dans le film "Les Joueurs" ("Rounders" en anglais) réalisé par John Dahl. Il y apparaît dans une courte scène face au célèbre acteur Matt Damon.

"Miramax souhaitait produire un long-métrage sur le poker avec quelques images vidéo de moi prises durant la finale des WSOP en 1988", se souvient Chan. "Ma fille cadette m'a dit que ce serait amusant si je pouvais faire aussi une apparition directe dans le film. J'ai donc demandé à la société de production si c'était possible et elle a immédiatement accepté !"

Le film permet au "Texas Hold'em" de connaître un regain de popularité et à Chan de devenir une star dans le milieu.

En 2000, le champion gagne ensuite un sixième bracelet d'or en battant Josh Arieh durant le tournoi "Pot Limit Omaha" des WSOP. Il empoche au passage 179 400 dollars.

En 2002, Chan voit son nom rejoindre la prestigieuse liste du Poker Hall of Fame.

Cette année-là, il remporte également 34 000 dollars et son septième bracelet lors de la 33ème édition des WSOP. L'épreuve qui lui permet de recevoir ces récompenses est un "match play" joué au format "No Limit Hold'em" contre Phil Hellmuth.

En 2003, Johnny Chan accomplit une double prouesse lors des World of Series Poker. Il gagne en effet son huitième bracelet, ainsi que 224 400 dollars, en battant Surinder Sunar pendant l'épreuve préliminaire de "No Limit Hold'em". Et pour couronner le tout, il réussit à décrocher son neuvième bracelet et 158 100 dollars en affrontant Emmauel Sebag en "Pot Limit Omaha" !

En 2005, il publie son premier ouvrage intitulé "Play Poker Like Johnny Chan" qui apprend à jouer à différents types de poker.

À la même époque, il remporte son dixième bracelet d'or et 303 025 dollars en vainquant Phil Laak lors du tournoi de "Pot Limit Hold'em" des WSOP. L'événement se tient cette fois au Rio, un hôtel-casino situé à Las Vegas.

Grâce à cette victoire, Johnny Chan entre dans l'histoire en faisant partie des trois seuls joueurs du championnat à avoir décroché dix bracelets (les deux autres étant Doyle Brunson et Erik Seidel).

"L'Orient Express" toujours dans la course

En 2006, Chan publie la suite de son premier livre. Baptisée "Million Dollar Hold'em : Limit Cash Games", celle-ci se focalise sur les stratégies du "Limit Hold'em".

Il devient également le coach de Jamie Gold, lequel remporte 12 millions de dollars lors du Main Event de la 37ème édition des World Series of Poker.

L'année suivante, il lance sa propre salle de poker en ligne. Baptisée ChanPoker.com, celle-ci est toutefois contrainte de cesser ses activités en août 2008, car elle ne parvient pas à rivaliser avec des opérateurs établis tels que Party Poker.

En 2009, Chan apparaît ensuite dans le film hongkongais "Poker King". Il y joue son propre rôle aux côtés d'autres joueurs professionnels asiatiques comme Chino Rheem, Nam Le et Liz Lieu.

De 2010 à 2024, il enchaîne les compétitions en se positionnant quasiment toujours à des places honorables. L.A. Poker Classic, Asian Poker King Tournament, World Team Poker, WSOP, Asia Pacific Poker Tour, Caesars Palace Recurring Tournaments... Rien ne semble lui faire peur !

Celui que l'on surnomme "l'Orient Express" a cumulé près de 8,7 millions de dollars au cours de sa carrière. Âgé de 68 ans, il détient aujourd'hui une franchise de restauration rapide au sein de l'hôtel Stratosphere à Las Vegas, tout en étant consultant pour des casinotiers et des développeurs de jeux.