L'histoire d'Annie Duke

Aujourd'hui, découvrons l'histoire de la championne de poker américaine Annie Duke.

Université et poker

Annie Duke (née Anne LaBarr Lederer) naît le 13 septembre 1965 à Concord, ville située dans le New Hampshire. Elle grandit dans une famille où les mots et les cartes tiennent une place essentielle. Son père, Richard Lederer, écrivain et linguiste reconnu, enseigne la littérature anglaise à la prestigieuse St. Paul's School. Sa mère, Rhoda S. Lederer, est, quant à elle, la fille de l'avocat Craig Spangenberg et elle enseigne au lycée de Concord.

"J'ai passé toute mon enfance assise par terre dans le salon à jouer aux cartes en imitant mes parents", confiera-t-elle plus tard.

Annie grandit aux côtés de son frère Howard Lederer, futur joueur de poker professionnel doublement titré aux WSOP, et de sa sœur Katy Lederer, qui deviendra poétesse et autrice d'un livre de mémoires consacré à leur famille.

Tout en étudiant à la St. Paul's School, la jeune femme travaille quelque temps chez Kentucky Fried Chicken pour financer ses études. Elle intègre ensuite l'université Columbia, rejoignant la toute première promotion mixte de l'histoire de l'établissement fondé depuis plus de deux siècles. Elle y suit un double cursus en anglais et en psychologie, puis poursuit un doctorat en psychologie à l'université de Pennsylvanie, où elle se spécialise en linguistique cognitive. Sa thèse porte sur l'hypothèse de l'amorçage syntaxique et elle bénéficie pour ses recherches d'une bourse de la National Science Foundation.

En 1987, alors qu'elle a vingt-deux ans, Annie découvre le format de poker Texas Hold'em dans un casino. Ce qui s'avère au départ un simple divertissement devient une véritable passion. Elle perfectionne d'ailleurs son jeu lors de ses séjours à Las Vegas chez son frère Howard.

En 1991, quelques semaines avant la soutenance de sa thèse, Annie prend une décision radicale : elle met fin à ses études, car elle ne souhaite plus devenir professeur comme ses parents.

Du doute à la vocation

En 1992, Annie épouse Ben Duke, petit-fils de l'ambassadeur Angier Biddle Duke et descendant du fondateur de la dynastie Duke, Washington Duke. Le couple s'installe près de Billings, dans le Montana, où ils partagent leur vie dans la quiétude des montagnes.

Mais quelques mois après ce déménagement, Annie commence à traverser une période difficile.

"Je me sentais totalement perdue", révélera-t-elle par la suite. "Je vivais dans une petite maison achetée 11 000 dollars et qui était perdue dans le Montana, après avoir fréquenté deux grandes universités. J'avais l'habitude des discussions animées et des longues conversations dans les cafés. Mais ici, je ne connaissais personne et les échanges intellectuels me manquaient énormément. Je me demandais ce que je faisais dans ce lieu et quel y serait mon avenir. Allais-je finir employée à la station-service du village ?"

C'est à cette époque que la vie d'Anne prend un tournant décisif. Son frère Howard l'encourage à tenter sa chance comme joueuse de poker professionnelle. Il lui envoie 2400 dollars, quelques ouvrages et lui paie même des cours par téléphone.

Anne commence alors à jouer au Crystal Lounge, un bar de Billings réputé pour sa salle de poker. Elle se dit, sans ambition particulière, que cette activité peut lui faire gagner un peu d'argent de poche, tout en la stimulant sur le plan intellectuel.

Et dès ses premières parties, une évidence s'impose : elle est faite pour le poker professionnel !

"Le jour où je me suis assise à la table de cette salle, je me suis dit : Je suis enfin chez moi !", expliquera-t-elle lors d'une interview.

Une ascension fulgurante !

Après une année prometteuse dans le Montana où elle termine huitième au Queens Poker Classic IV de Las Vegas et dixième à l'Annual Spring Classic de Billings, Annie Duke suit à nouveau les conseils de son frère pour franchir un cap : participer aux World Series of Poker (WSOP) de 1994, à Las Vegas.

Lors de sa première participation, elle se classe 14ème sur 506 joueurs durant l'épreuve de Limit Hold'em et remporte 7230 dollars. Quelques jours plus tard, elle atteint la cinquième place sur 212 participants dans une autre épreuve de Limit Hold'em, ajoutant ainsi 26 500 dollars à ses gains. Elle conclut cette série par une 26ème place lors du Main Event de No-Limit Hold'em et 16 800 dollars supplémentaires. Ces résultats la propulsent sur le devant de la scène du poker américain.

Portée par cet élan, Duke enchaîne les tournois et accumule rapidement plusieurs dizaines de milliers de dollars de gains. Convaincue d'avoir enfin trouvé sa voie, elle décide de s'installer à Las Vegas pour y poursuivre sa carrière de joueuse professionnelle.

Dès lors, elle participe à presque toutes les éditions des WSOP. En 2000, avant même le championnat international, elle compte déjà seize places payées dans la compétition.

Cette même année, alors qu'elle est enceinte de neuf mois de son troisième enfant, elle réalise l'une de ses performances les plus marquantes : une dixième place sur 512 joueurs au Main Event qui lui permet de devenir la deuxième femme la mieux classée de l'histoire du tournoi. Elle remporte 52 160 dollars et assoit définitivement sa réputation sur le circuit.

La consécration

Entre 2001 et 2004, Annie Duke travaille en tant que porte-parole et consultante chez ieLogic. Cette entreprise produit des logiciels de poker destinés à des plateformes de jeux en ligne comme Ultimate Bet. Lorsque la société s'installe en 2002 à Portland (Oregon), Annie la suit et y demeurera jusqu'en 2005.

L'année 2004 marque un tournant majeur dans la carrière de Duke. Elle remporte en effet son premier bracelet d'or des WSOP en triomphant dans un tournoi d'Omaha Hi-Lo Split, où elle s'impose face à 234 joueurs et gagne 137 860 dollars.

Au mois de juillet, elle devient la joueuse la plus titrée de l'histoire des World Series of Poker, avec plus de 650 000 dollars de gains cumulés, vingt-cinq places payées et treize tables finales à son actif.

Quelques mois plus tard, elle remporte le premier Tournoi des Champions des WSOP en battant son propre frère Howard Lederer, ainsi que neuf anciens champions du monde. Cette victoire historique lui rapporte 2 millions de dollars et consacre son statut de légende du poker.

Toujours en 2004, Annie divorce de son mari Ben Duke. Ils auront eu quatre enfants ensemble : Maud en 1995, Leo en 1998, Lucy en 2000 et Nell en 2002.

Parallèlement à son parcours de joueuse, Annie Duke s'engage dans la défense des jeux d'argent en ligne au sein de la Poker Players Alliance. Elle participe en outre au débat sur l'affichage des logos de sponsors durant des tournois télévisés, en s'opposant à toute restriction contraire à la liberté des joueurs.

En 2005, elle crée l'émission télévisée "Annie Duke Takes on the World". Diffusée sur Game Show Network, celle-ci lui permet d'affronter des joueurs amateurs autour d'une table de poker.

En septembre, elle publie son premier ouvrage. Cette autobiographie intitulée "Annie Duke : How I Raised, Folded, Bluffed, Flirted, Cursed and Won Millions at the World Series of Poker" rencontre un large succès auprès du public.

Victoires et engagements

Duke se distingue encore une fois lors des WSOP de 2006. Elle figure en effet parmi les deux dernières femmes encore en lice et termine 88ème, ce qui lui permet d'empocher 51 129 dollars.

Elle s'impose également dans la deuxième édition du tournoi "Pierre-Feuille-Ciseaux" des World Series of Poker, ajoutant ainsi une note d'humour et de légèreté à une carrière déjà exceptionnelle.

Cette année-là, elle figure aussi parmi les sept joueurs qui intentent un procès contre le World Poker Tour (WPT) à cause des formulaires de décharge obligatoires pour participer à ses tournois. Les plaignants estiment que ces documents sont anticoncurrentiels et qu'ils portent atteinte au droit à l'image des joueurs. L'affaire se règlera finalement à l'amiable deux ans plus tard, lorsque le WPT acceptera de modifier les formulaires…

En 2007, Annie Duke comparaît devant la commission judiciaire de la Chambre des représentants, où elle témoigne contre une loi de 2006 concernant la réglementation des jeux d'argent illégaux en ligne.

En 2010, elle intervient de nouveau au Congrès, cette fois devant la commission des services financiers, pour soutenir le projet de loi HR 2267. Celui-ci vise à réglementer les jeux de hasard sur le Web pour protéger plus efficacement les consommateurs.

Cette même année, elle remporte l'un des titres les plus emblématiques de sa carrière durant le NBC National Heads-Up Poker Championship. Elle triomphe d'un tableau de 64 participants, éliminant notamment l'ancien champion Huck Seed, puis battant Erik Seidel en finale. Avec ses 500 000 dollars de gains, elle devient la première (et la seule !) femme à remporter cet événement avant sa clôture en 2013.

Une autrice et une enseignante

En juin 2011, Annie Duke coécrit avec John Vorhaus "Decide to Play Great Poker", un livre stratégique consacré au format "No-Limit Hold'em".

Engagée en faveur des femmes, elle entraîne en outre des joueuses du LIPS (Ladies International Poker Series), donne des cours lors des événements féminins de la WSOP Academy et prononce le discours d'ouverture de la cérémonie d'intronisation au Women in Poker Hall of Fame.

En 2012, Duke décide finalement de quitter le monde du poker professionnel. Elle retrouve John Vorhaus pour la coécriture d'un second ouvrage, "The Middle Zone", consacré à la gestion des mains difficiles dans les jeux de cartes.

En 2018, elle publie "Thinking in Bets", un livre qui explore les prises de décision en situation d'incertitude au poker.

Deux ans plus tard, elle publie "How to Decide : Simple Tools for Making Better Choices", suivi en 2022 de "Quit : The Power of Knowing When to Walk Away".

Plus de 30 ans après avoir quitté ses études, Annie retourne à l'Université de Pennsylvanie au cours de l'automne 2022. Elle parvient à y obtenir son doctorat en psychologie cognitive en juin 2023.

Annie Duke occupe aujourd'hui un poste de professeure associée à la Harvard Kennedy School, ainsi qu'à la Wharton School of Executive Education de l'Université de Pennsylvanie. Elle siège aussi au Conseil consultatif des joueurs des WSOP et enseigne à la WSOP Poker Academy.

Tout au long de sa carrière, elle a mené de nombreuses actions philanthropiques, récoltant des sommes conséquentes pour diverses œuvres caritatives. Elle a entraîné par ailleurs plusieurs célébrités du show-business, telles que les acteurs Matt Damon et Ben Affleck.

Ses gains totaux aux WSOP, issus de 39 places payées, s'élèvent à 1,16 million de dollars. Avec 4,2 millions de dollars de gains en tournois live, elle occupe actuellement la quatrième place du classement des meilleures gagnantes de tous les temps.